Deux jours pour réfléchir à la paternité spirituelle
Une cinquantaine d’évêques, de prêtres et de laïcs membres des conseils épiscopaux se sont réunis, à distance, lundi 8 et mardi 9 février. Si la session annuelle de formation provinciale n’a pas pu se tenir en présence comme à l’accoutumée, pour chacun, il était important de maintenir cette rencontre, grâce à la visioconférence.
Une journée et demie pour réfléchir à la paternité spirituelle du prêtre. Un sujet choisi pour résonner avec l’année de la charité pastorale vécue par les diocèses de la Province ecclésiastique de Rennes. « Ce temps de formation est l’un des points forts de cette année, a introduit Mgr d’Ornellas, archevêque de Rennes. Il s’agit d’un vaste sujet et pour tenter de le comprendre, nous allons être éclairés par plusieurs points de vue tout au long de ces deux jours. »
La paternité spirituelle. Une thématique d’autant complexe qu’il est possible de s’interroger sur le pourquoi un prêtre est appelé père ou abbé, alors même que dans la Bible, il est écrit « Ne donnez jamais à personne sur terre le nom de père » Mt 23, 9. « Il fait veiller à ne pas faire une interprétation simpliste de ce verset, prévient l’archevêque. Pour notre session, la paternité spirituelle est un beau sujet de réflexion pour exercer cette charité pastorale à laquelle nous sommes invités. »
La cinquantaine de participants à la session, - évêques, vicaires généraux et membres des conseils épiscopaux -, a pu entendre dans un premier temps l’intervention du père Loïc Le Quellec, prêtre du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier et professeur d’Écritures saintes au séminaire Saint-Yves à Rennes. Celui-ci était invité à apporter un éclairage sur la paternité spirituelle à partir des lettres de saint Paul, et plus particulièrement à un verset de l’épître aux Galates (4, 19) : « Mes enfants, vous que j’enfante à nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous ». « Paul écrit cette lettre dans le milieu des années 50. La communauté des Galates est formée par des pagano-chrétiens et des judéo-chrétiens. Tous ont foi en Dieu mais leurs pratiques ne sont pas les mêmes. Les Galates se déchirent pour savoir si le baptême est suffisant pour être justifiés au regard de Dieu. » A aucun moment, Paul s’attribue le nom de père, « bien qu’il appelle les destinataires de sa lettre, mes enfants. Chez Paul, ‘Père’ désigne Dieu, ou Abraham ». Comme apôtre, il craint d’avoir annoncé l’Évangile en pure perte et que les Galates perdent leur liberté fondée dans le Christ. « Paul est soucieux que les Galates restent fidèles à l’identité reçue de Dieu, en se comportant comme lui. ‘Frères, je vous en prie, devenez comme moi’ (Ga, 4, 12). Lui et les Galates sont frères car ils sont bénéficiaires de l’Évangile. L’apôtre porte la responsabilité pour que soit formé en eux le Christ et il ne peut les laisser vivre comme si Dieu n’avait rien changé en eux. Paul vit dans la souffrance de l’enfantement pour que Dieu vive en eux. Il n’emploie pas directement le nom de père mais il s’adresse aux Galates comme à ses enfants. Il reprend donc l’image de la paternité. Pour Paul, avoir annoncé l’Évangile engendre une paternité. C’est par l’annonce de l’Évangile que l’Église grandit. »
Pour conclure, le père Loïc Le Quellec a partagé son étonnement quant au fait que Paul ne s’attribue jamais vraiment le titre de père. « Quand il le fait, c’est de façon indirecte. Pour lui, il n’y a qu’un seul père, Dieu. Pour autant, il est conscient de participer à la paternité qui se réalise dans le Christ. D’Où l’importance de parler de paternité spirituelle. »
Dans un temps d’échange, le père Franck Viel, du diocèse de Laval, a fait le lien avec son ministère de prêtre : « Lors de notre travail de collaboration avec les laïcs, même si l’annonce de l’Évangile ne se fait pas de façon explicite, si on a cela en arrière-plan, dans quelle mesure, cela les fait grandir ? Et peut-on parler de paternité spirituelle ? ». Le père Marc Isnard, du diocèse du Mans, a ajouté : « La paternité spirituelle de saint Paul est liée à l’annonce de l’Évangile, et non au baptême. Pour lui, c’est la Parole qui engendre ».
La paternité spirituelle différente de la paternité biologique
Lundi 8 février, les participants ont également pu entendre l’intervention de sœur Noëlle Hausman, sœur du Saint-Cœur de Marie et directrice de la revue Vie consacrée. La religieuse belge a apporté un éclairage sur la paternité spirituelle sacerdotale, vue par la vie consacrée féminine. « Un sujet bien curieux qui m’a été donné, pour ma pénitence ou pour ma joie », a-t-elle lancé à l’assemblée virtuelle. Dans ses propos, sœur Noëlle Hausman a affirmé qu’il n’y a qu’un seul père. « Jésus a récusé d’avance l’appellation de père pour les disciples. Il y a beaucoup de paternité dans le ciel et sur la terre mais un seul père la fonde. ».
Et pour appuyer ses propos, la religieuse a ajouté : « Paul n’hésite pas à se mettre dans une posture paternelle par rapport à ses disciples. Jean s’adresse à ses ‘petits-enfants’. Et il ne faut pas oublier la figure maternelle à laquelle Jésus se compare à plusieurs reprises, celle de la mère poule qui rassemble ses poussins. Dieu donne d’exercer une paternité spirituelle, qui est différente de la paternité biologique. Elle est donnée d’en haut, par l’unique paternité divine. » Est-ce une grâce sacerdotale ? À cela, sœur Noëlle répond qu’il ne faut pas la réduire à une vocation. « C’est une grâce donnée qui n’est pas nécessairement liée au sacerdoce. N’est-il pas des rencontres uniques avec des laïcs qui nous font sentir enfant spirituel ? »
Avant de parler de la paternité spirituelle des prêtres, « il ne faut pas oublier qu’ils sont avant tout des frères en Christ. Le prêtre est l’humble serviteur de la relation avec l’unique père. C’est dans la fraternité que se vit la paternité sacerdotale. D’ailleurs, on parle de ‘frères prêtres’ ». Des propos qui ont fait réagir le père Ivan Brient : « Peut-on dire que certains prêtres pourraient ne pas avoir le charisme de la paternité spirituelle ? » « Le sacerdoce confère une autorité spirituelle. Mais que sait le prêtre de sa paternité spirituelle ? À quel moment s’exerce-t-elle ? Il se peut que certains prêtres ne le voient pas. Que sait-on de cette paternité de Dieu qui passe par le prêtre ? » Autant de questions posées par sœur Noëlle Hausman qui appellent chacun à réfléchir à sa propre posture. « La paternité spirituelle est une mission qui nous dépasse, a confié le père Maurice Sanon. Il n’y a que l’humilité qui nous habite. La paternité de Dieu est reflétée dans l’humilité du prêtre. »
La journée s’est terminée par une toute autre intervention, celle de Jacques Arènes, psychanalyste et psychothérapeute. « Au fond, la dimension spirituelle est au cœur de toute paternité. Qu’elle soit biologique ou non. Elle a à voir avec la transmission et une forme d’effacement. Le père gagne de son autorité à s’être effacé, il n’est pas surpuissant. Ce nouveau père, qui se soumet à la nécessité de transmettre, est celui qui assure la continuité spirituelle entre les générations. On ne peut être père que dans cette logique. Aujourd’hui, les jeunes sont en recherche d’adultes auxquels se référer, et donc de ‘pères’. La transmission est ambiguë, car il y a un risque de surpuissance, et nécessaire, car elle permet la continuité d’une culture. De ce fait, c’est parce qu’on a été fils qu’on peut être père, et parce qu’on est fils qu’il y a un père. ».
Le père François Bidaud a interrogé Jacques Arènes quant à la mission d’un prêtre. « Comment notre paternité spirituelle peut aider ? Et comment aider la paternité humaine d’un père de famille que l’on rencontre ? » Et le psychanalyste de répondre : « Souvent, les pères ne sont pas très présents dans la vie spirituelle de leur enfant, même s’il existe dans de nombreux diocèses, des pèlerinages pour les pères de famille. Le prêtre est associé comme la figure masculine qui transmet la foi. La parole des hommes sur leur relation à Dieu existe peu et c’est là que votre paternité spirituelle peut s’exercer ».
« Cette session a été immensément riche et elle réinterroge nos relations de fils et de frères, a partagé le père Pierre-Marie Perdrix. En deux jours, j’ai mieux compris que notre paternité spirituelle englobe tout notre ministère. » Et le père Emmanuel d’Andigné, d’ajouter : « Quelle suite donner à cette session ? » Au terme de toutes les interventions, Mgr d’Ornellas a invité chacun, à la lumière des interventions et témoignages entendus, à échanger avec les frères prêtres ou les fidèles autour de la paternité spirituelle. « Il faut continuer à cheminer et ne pas oublier le père de qui tout vient, la paternité de Dieu. »
Marine Jouannic - Journaliste Diocèse Quimper & Léon